• la déchirure

     

    Je pose mes pinceaux sur la table tout juste éclairée... Il fait nuit depuis longtemps et mon travail reste en sursis. Je ne suis pas satisfaite de ce que je fais, mes pensées sont chargées, elles encombrent mes mouvements jusqu’au bout de mes pinceaux. Mon inquiétude se voit dans les couleurs que je choisis, dans le tremblement de mes doigts qui perdent leur précision. Cette nuit soudain m'oppresse. Une ombre s'installe à côté de moi, je n'ai pour l'instant aucune force de la combattre. Il me faut l'accepter comme un "état d'urgence" imposé, comme une guerre établie par des caciques peu scrupuleux.

    Mes regards se portent sans cesse sur ce monde en plein désarroi. Mes yeux se gonflent de larmes en voyant les conséquences de notre gargantuesque gabegie. Laissant en friche un partage indispensable à notre évolution, et en  guise de bannissement un individualisme cannibale à la solde des tyrans, l'intelligence collective nécessaire à notre pérennité disparaît. Les politiques qui nous gouvernent, sont à l'image des peuples qui les érigent au pouvoir... Chacun cherchant à tirer profit de tout et de rien. D'autres, renouvelant par mille artifices toutes les mesures indispensables à leur domination. On ment, triche, trompe, arnaque, fraude abuse, vole, viole, pille, accuse, détourne, sans scrupule, sans honte, pire encore, on en tire une certaine insolence. La liberté s'enlise, l'égalité, comme la démocratie n'ont jamais existé que dans l'esprit de ceux qui les  détournent. Quant à la fraternité, elle se fond dans un consensus sans forme et sans relief.

    Réfléchir ne nous est autorisé que sous condition. Défendre les dernières merveilles de notre planète nous accuse de terrorisme. Dénoncer le dysfonctionnement qu'on nous impose nous assigne à résidence.  De l'éducation nationale encombrée de ses collaborateurs naïfs, responsables de ce pogrom intellectuel travesti en programmes hasardeux,  aux intellectuels eux mêmes démunis à force d'insuffisance culturelle, s'organise en silence un effroyable suicide collectif dont nous sommes tous les victimes et les bourreaux.

    Nous mangeons mal, nous dormons sans rêve, nous vivons abrutis par des conditionnements obsolètes, nous sommes malades de tout et de n'importe quoi. Gavés de psychotropes, nous abandonnons nos émotions à la charge d'un self-contrôle débridé. La détresse envahit nos assiettes et nos oreillers, grignotant notre mémoire pour moins de lucidité.

    Et pourtant il nous reste tant à apprendre, à découvrir, à redécouvrir, à inventer, à réinventer. En avons nous encore le temps ? Pouvons nous encore croire à un quelconque changement ?...  Qu'importe, car  nous pouvons bien plus,  nous pouvons réveiller nos mémoires, stimuler notre écoute, désengourdir nos envies, ressusciter nos goûts, nos instincts, nos sensibilités. Nous avons la responsabilité et l'urgence de redresser nos corps épuisés, nos têtes alourdies de pollutions circonvenues et de reprendre courageusement le chemin que nous n'aurions jamais dû abandonner.

     

    table de travail

    les pinceaux usés

    parlent de retraite

     

     

     


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