... les matins où je m'occupe d'elle, je me réjouis de la revoir... elle m'attend, je l'attends... nous sommes toutes les deux tenues par un mystère qui n'en est pas un... les matins où je suis près d'elle, tout devient étrangement limpide... instinctivement, nous nous cherchons du regard... Ses yeux noirs n'ont pas de frontière... je plonge sans méfiance dans l'abîme de ce trou obscur... et ne perçois que l'intensité et l'éclat de ce bonheur présent, qu'elle manifeste en me voyant... ses cheveux raides, plus sombres encore que ses yeux, sa peau blanche, accentuent la rondeur de son visage des peuples du soleil levant.. sa déficience souligne à chacun de ses mouvements une maladresse émouvante... son sourire est tout simplement merveilleux... sa force et son détachement déconcertants...
lorsque j'arrive le matin, elle glisse sans un mot sa petite main dans la mienne... Je me penche sur elle et la laisse attraper les perles d'argent qui ornent la petite tresse cachée dans mes cheveux... fascinée, elle les regarde, les touche, les découvre à nouveau puis les oublie aussi promptement.
elle est l'innocence qui me met à nue... elle est l'innocence et la simplicité qui m'équilibrent... chaque fois que je la retrouve je réalise combien elle est importante...
je la comprends sans parole... elle me tend la main, se blottit contre moi... pose sa tête sur mes épaules et abandonne les plus belles choses de son enfance dans ma chaleur...
elle trébuche dans sa tête... et suit un chemin ignoré de tous...
elle, l'enfant, toute petite petite, rangée dans le tiroir des trisomiques... elle, l'enfant riche d'une autre vision des choses où nous n'avons aucun accès...
rentrant chez moi
du haut de la rue
toutes ces notes de piano