• le peintre devient poète

    il me faut parfois marcher de longues heures, pour progresser dans mes pensées, de longues heures pour saisir quelques nouveaux détails susceptibles d'éveiller un peu plus ma conscience. Les idées se bloquent dans un recoin du corps et cherchent le passage indispensable à l'échappée salutaire... Parfois elles tardent à faire surface, parfois elles sont parasitées par d'autres difficultés. Sans perdre leur constance elles mûrissent dans une partie secrète de mes incohérences et attendent d’émerger au moment opportun. C'est ainsi que je fonctionne avec ce que je peins et ce que j 'écris. 

    Lever du jour, lundi 6 de ce quatrième mois incertain de l'année. Au sud du massif du Dévoluy, le thermomètre nous nargue de ses  -7°, et sortir de nos duvets demande un peu plus de courage que prévu. Nous sommes à 1400 m d'altitude, tout est gelé jusqu'au petit ruisseau qui  dans la nuit s'est figé en pleine descente. Les herbes n'ont pas encore repris goût à la vie et, dans ce froid ostentatoire traîne un relent effronté d'un hiver séditieux qui nous agresse. Cette indélicatesse de l'hiver n'impacte pourtant pas les habitudes saisonnières de la petite grive musicienne qui, volontaire et tenace, brave de son chant mélodieux toute la forêt et le givre qui la fige. Nous replions nos affaires discrètement et préparons nos sacs à dos pour l'ascension prévue.  Le plateau de Bure par la combe de Ratin, nous pose vite quelques problèmes techniques. Les pentes sont raides et gelées, la progression très lente. Les piolets sortent des sacs et les pointes des raquettes nous servent de crampons... Nous avons 1100 m de dénivelé à grimper, le froid et le soleil gèle et brûle nos visages... le vent termine ce que les deux autres éléments ont oublié de buriner. C'est dans ces moments intenses, que les idées perturbées par l'évidence implacable de la situation se replient sans manière dans l'arrière boutique de mon cerveau et me laissent enfin en paix... c'est à ces moments là qu'une certaine lucidité étrangère aux interminables interrogations stériles, se dilate dans mes muscles et dans mes veines, prenant comme seule initiative, celle de me faire avancer autant dans mon détachement que dans ma responsabilité de ne pas chuter.  Sur le plateau, le vent reprend son insoutenable violence, nous privant  d'entendre la subtile complainte des sommets.  Gelés, crispés dans leur condition, blanchis par une ultime couche de neige tombée la veille, ils ajustent ciel et terre par leur beauté mutante, et dans l'univers souverain présentent leur existence comme des modèles à peindre avec encre et poésie.

     

     

    pour avoir atteint le sommet

    un jour de congé

    le peintre devient poète


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