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carnet de bergère-2
21 septembre. Depuis quelques jours le brouillard s'entête à monopoliser les montagnes sans aucune indulgence pour tout ce qui respire en dessous. J'ai parfois l'impression de vivre dans un chaos permanent. Les mots se crispent là, sans horizon, sans avenir, inadaptables à la situation. Farouches, ils s'allient aux moutons et aux nuages, avec un acharnement obsessionnel, ne laissant place que très rarement à une variante providentielle. Lorsqu'elle arrive enfin, le paysage s'organise et m'offre dans sa somptuosité quelques instants de visibilité fondamentaux à la bonne conduite du troupeau. Dix jours déjà que je prends mes repères dans cet univers aux contrastes violents et mon humeur subit autant de variations qu'une œuvre d'art incomprise.
Le troupeau vit comme un organe incontrôlé. Il se contracte et se dilate sans loi, et sans oublier non plus d'imposer au berger une adaptation inconditionnelle. Être à l'avant ou à l'arrière du troupeau, peu importe il n'y a aucune place stratégique, il faut sans cesse composer, gérer, observer et se laisser porter par cette vague laineuse sans écume. Les maîtres d’œuvre de ce tableau mobile sont les chiens. Les patous, tant redoutés par les randonneurs, sont totalement inféodés au troupeau. Je n'ai aucune emprise sur eux. Je les caresse les nourris, ils me connaissent et m'apprécient, mais reste le seul lien de sociabilité autorisé... libertaires, parmi les libertaires, ils n'en font qu'à leur tête, et à la tête du client. Et puis il y a Dick, mon très cher Dick, moitié Border moitié Labrit, fidèle parmi les fidèles qui écoute sans condition aux moindres de mes gestes et donne à cette vague un mouvement et une cohérence indispensable à mon endurance.
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